Au moins j'ai pleuré

Publié le 11 Septembre 2014

Il y a des gros chocs, de ceux qui frappent l'esprit et empêchent le corps de fonctionner pendant un instant pour le rendre ensuite incroyablement performant, ce genre de choc qui empêche la tête de fonctionner pour un long moment. C'est à ce moment là qu'on vit. On vit alimenté par la puissance de la mort. On vit, parfois dangereusement, mais on vit. Peu importe le moyen, c'est le bon geste au moment présent. La tête ne répond plus. La conscience, elle, est omniprésente. On sait que le cerveau est arrêté et que le corps s'est emballé, mais on ne peut pas l'arrêter. Ça monte en flèche, et plus ça monte et plus c'est excitant. Plus ça nous semble être la bonne voie à prendre. La bonne voie c'est celle qui mène aux crevasses; de toute façon on vient de tomber dans un puits sans fond et on a survécu, quelques chutes de plus ou de moins, quelle est la différence? & plus les crevasses sont béantes, larges et nombreuses, plus on court vite, le temps s'emballe, on devient instable et nos jambes chambranles, mais on ne peut pas ralentir. Parce que les larmes ne servent plus à rien. La tête ne répond plus, le corps est paralysé.

Alors là. Parfois le cerveau s'illumine. Miracle. On ralentit. On retourne dans les chemins déjà battus, parfois, on cherche encore les sentiers dangereux, on oscille entre les émotions fortes ou le calme plat. Le calme plat, parce que les émotions ne voyagent plus. Elles sont bloquées dans le puits. Elles y sont restées au fond. On les a oublié là.

Des fois, ça se passe autrement, on ne peut s'arrêter, et nos propres limites nous barrent le chemin. Une roche de trop, un mauvais pas, et c'est la chute. Elle est moins difficile, elle semble normale, c'est du déjà vue, d'la p'tite bière. C'est lorqu'on a atteint l'fond que ça fait mal. On a mal à en mourir nous aussi. On reste là, «sans armure, ni défense», nu, exposé à tous, à découvert, de la chair à charognards. Vulnérable. Les vautours forment de grands cercles, ils attendent le moment opportun. On n'a pas l'choix, on reprend tranquillement haleine, question de survivre. Instinct de survie.

Et là on se relève tranquillement, au ralentit, on ne veut pas déranger les éléments, on ne veut pas réveiller le temps, on veut que ça stagne. Et comme un enfant, on réapprend à marcher, mais ca fait peur, le rythme sanguin s'accélère& le coeur nous bat dans les tempes. On ne sait plus où poser les pieds, on voit des puits partout, le cerveau refait surface, lentement. Très lentement, un pied devant l'autre, engourdie, subjugué et essoufflé par notre course. On regarde en arrière.  On voit ce qu'on a traversé. Ce qu'on a risqué. Les gens sur le parcours. Puis, on risque un oeil au devant. Lentement. Très lentement. Doucement. On est si fragile. Au ralentie. L'horloge s'arrête. Aucun mouvement brusque. Lentement. Surtout, ne pas retomber. Surtout, éviter le moindre choc. On souffle. On a chaud. Lentement, on dirige le regard vers le futur. On ne tourne que la tête. Les pieds cloués au sol. Le corps encore face à la noirceur. On est crispé. Allez.

Quand on voit la lumière après tout ce temps dans le néant, on se retourne subitement. Ébahi. Pourtant, le noir c'est tellement rassurant. On n'y voit rien, rien à affronter. On se force quand même à avancer... à reculons. On expose notre dos au futur. Les gens nous trouvent parfois bizarre, mais on s'en fout. Ils n'ont pas traversé le puits, ou du moins, pas le notre.

& un jour, on finit par se dire qu'il faudra bien faire face à ce qui s'offre à nous, laisser derrière la nuit et laisser le soleil nous illuminer un peu. Mais, il est trop tôt. Pas encore. L'obscurité nous protège, nous préserve et nous permet d'observer le monde d'avant, on le fait tranquillement, d'un oeil nouveau, d'un regard changé. On reste choqué, l'univers n'a pas changé, il ne s'est pas arrêté, et nous on a pourri.  Tout nous semble nouveau, on réalise que le regard qu'on a toujours posé sur le monde, comme une lunette unique, ne sera plus jamais le même. Il est encore trop tôt pour fixer demain. Demain c'est angoissant. On tourne la tête. On est content parce qu'on a tenu plus longtemps que la dernière fois. Parfois, on recule, on perd du terrain, on n'a peur de ne pas y arriver, de ne jamais atteindre le côté plus clair. Mais, on verse des larmes, c'est bon signe. Elles sont revenues.  & on espère un jour se retourner vivement, s'offrir de toute son âme au futur et de voir enfin d'où vient la lumière.  & si elle venait du puits? Non. Il est trop tôt. Pas encore. Non. Il est trop tôt. Au moins j'ai pleuré. 

Au moins j'ai pleuré

Chacune des larmes qui perle au coin d'un oeil est la traduction d'un sentiment intense qui est sur le point de s'éteindre. C'est le début d'un long rétablissement.

Rédigé par CY - « See Why»

Publié dans #Beaux Mots

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